Suspend
Nous aurions fêté nos 60 ans de mariage cette année. Mais me voilà coincé dans cet établissement, ce fauteuil, toute la journée, tous les jours. Je ne bouge plus que rarement, du fauteuil au lit, du lit à la douche. On me lave, on me fait manger, on me couche.
Je ne distingue plus rien. Je n’ai conservé que le réflexe de manger, de respirer et mon cœur de battre. Parfois, je sens qu’on me parle, mais je ne sais plus qui aujourd’hui.
Je n’attends plus rien. Ai-je seulement conscience, à ce jour, que tout cela a une fin. Je ne me pose plus de question et tout est présent. Plus de projection, plus de passé, plus de crainte, plus de remord, quelques bribes de souvenirs, plutôt joyeux reviennent en mémoire et me permettent de passer un temps qui ne se déroule plus, sinon au travers des gestes que je n’accomplis plus.
Drôle de vie en vérité. On s’agite, on s’émeut, on brûle pour l’essentiel pour d’anodins soucis, le temps si court que l’on a à vivre ici bas. Et me voilà coincé ici, entre deux monde, le Styx sans fin, un coucher de soleil entre deux rives.
J’ai aimé. J’aime sans doute encore. Ne me reste que ce sentiment, cette sensation, et celle que je reçois des gens qui m’entourent.
Je suis prisonnière de moi-même, mais dans une prison dont les murs ne sont pas visibles, ne sont pas sensibles, n’apparaissent pas.
La seule fenêtre reste des yeux qui ne savent plus trop interprétés les stimuli extérieurs, la seule lumière provient d’une mémoire bloquée il y a si longtemps. Tout est en suspend.
Et je me souviens encore...